2 février 2022 | Notre directrice générale, Natasha Normand, en collaboration avec Méliza Lottinville (conseillère en emploi), a rédigé l’article intitulé « Avenues pour le communautaire face aux grands changements du marché du travail ». Il a été publié dans l’infolettre Par la Bande #24 (édition de janvier 2022) produite par le Centre de formation communautaire de la Mauricie.
C’est connu, le milieu communautaire sert souvent de tremplin professionnel, particulièrement pour les nouveaux et nouvelles diplômé(e)s. C’est un milieu riche d’expériences multiples où l’autonomie, la créativité, l’engagement, la polyvalence et une bonne capacité d’analyse sont à l’honneur. Grâce aux différents réseaux dont les organismes communautaires sont membres, ils peuvent offrir des réflexions collectives ancrées sur les besoins des usagers et offrir aux intervenant(e)s un cadre professionnel et de la formation continue bien ciblée pour parfaire leurs outils d’intervention. Les intervenant(e)s ont donc la chance d’approfondir leurs connaissances et d’évoluer rapidement professionnellement. De plus, le milieu communautaire offre souvent une flexibilité quant à la conciliation travail-famille-études. Cependant, le bât blesse quand on évalue les conditions salariales et les avantages sociaux qui sont généralement inférieurs à ceux de la fonction publique et parapublique et à ceux des entreprises privées. Le milieu communautaire ne bénéficie pas des mêmes moyens financiers et de gestion que les grandes entreprises ou les différents paliers de gouvernements. Néanmoins, par sa plus petite taille et sa proximité avec le terrain, il bénéficie d’une latitude et d’une connaissance fine des besoins. Gouvernements et chercheurs constatent les richesses des liens, des expériences, de l’expertise et de la capacité d’adaptation des milieux communautaires.
Le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre était déjà identifié au début de la dernière décennie. Selon les projections des économistes, cette pénurie devrait croître jusqu’au début de la prochaine décennie pour atteindre un sommet vers 2033. On constate un glissement du marché du travail : celui où le chercheur d’emploi peine à trouver un travail qualifié à celui où le chercheur d’emploi a maintenant plusieurs choix et un nouveau pouvoir de négociation. Cela fait référence au principe de l’offre et la demande. Le fait que les offres d’emplois sont plus importantes que le nombre de travailleurs disponibles a des répercussions notamment sur une pression à la hausse des conditions de travail. Cela crée aussi, ou pourrait créer, des trous de services dans certains secteurs ou pour certaines professions. Les employeurs constatent ce revirement de situation et réfléchissent à leurs conditions de travail pour se démarquer de leurs compétiteurs. Certains déploient différents moyens, de la créativité et de l’audace pour offrir des conditions de travail avantageuses. Plus la pénurie de main-d’œuvre est grande et plus les pressions pour augmenter les salaires sont fortes.
Quelles sont les marges de manœuvre du communautaire? Une réflexion est déjà amorcée depuis plus de dix ans dans les différents milieux pour connaître notamment les fourchettes de salaires reliées aux différents postes et les coûts de fonctionnement selon les secteurs d’interventions. Les TROC de certaines régions du Québec, par exemple celles de la Capitale-Nationale et de Lanaudière, ont déjà travaillé sur des cadres de financement, conjointement avec les Agences de la Santé de l’époque, en vue de gérer d’éventuelles hausses de financement du MSSS. Plusieurs organismes s’échinent à chercher du financement complémentaire de différentes manières, notamment par le biais de levées de fonds. Et, dépendamment du secteur d’activités, il y a des causes qui sont plus populaires que d’autres. Ainsi, le financement sur une base triennale, et non par projet ou par service, favoriserait une meilleure planification des ressources au sein des groupes. Au cours des dernières années, les ministères devaient modifier leur mode de financement annuel en triennal et offrir du financement à la mission. Notez que pour le secteur de l’employabilité, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) est toujours dans un mode de financement annuel et n’offre pas de financement à la mission[1], fragilisant ainsi les organismes de ce secteur.
Quels sont les impacts du manque de main d’œuvre sur le milieu communautaire?
Dans les dernières années, certains secteurs de la fonction publique et parapublique ont vécu une cure d’amaigrissement majeure et, par conséquent, avaient mis sur pause les embauches durant la pandémie. Nous constatons toutefois qu’ils viennent de reprendre des ouvertures de postes. Le communautaire assiste donc à de multiples départs d’employé(e)s pour les ministères XYZ ou vers le parapublic. On remarque aussi une intensification du maraudage des employeurs en manque de main-d’œuvre qualifiée. Ainsi, un employé, actif ou pas dans sa recherche d’emploi, peut désormais se voir offrir différents postes sans même les avoir directement sollicités. De plus, au niveau technologique, le développement des algorithmes facilite l’arrimage d’une offre d’emploi d’un employeur et le curriculum vitae ou le LinkedIn d’une personne, facilitant ainsi grandement l’identification des bonnes personnes pour des postes qui demandent des connaissances spécifiques.
Pourquoi un employé quitte le milieu communautaire?
Différentes raisons peuvent motiver une personne à quitter son emploi et particulièrement le milieu communautaire. La précarité du financement, le salaire et les conditions de travail sont souvent les raisons majeures responsables du départ d’un employé. Il peut s’ajouter que, dans son projet professionnel, une personne jeune ou plus âgée tente de se projeter dans l’avenir et ne voit pas que le milieu communautaire puisse adéquatement répondre à son projet de vie ou de retraite. Enfin, la qualité des relations de travail au sein de son équipe ou de l’organisme peuvent motiver quelqu’un à chercher ailleurs. L’impression d’avoir fait le tour du jardin ou penser que l’herbe est plus verte chez le voisin (recherche de plus de structure, moins de pression, etc.) sont également des raisons qui peuvent amener les gens à s’ouvrir à de nouvelles expériences.
Quelles sont les options du communautaire dans ce contexte de pénurie de main-d’œuvre?
Il existe quelques solutions afin de faire face aux difficultés reliées au manque actuel et grandissant de main-d’œuvre. Une crise nous amène souvent à revoir notre modèle de gestion, ce qui peut amener des réflexions et de nouvelles actions à mettre en place ou à éliminer. Regrouper des organismes ou des services qui œuvrent notamment sur un grand territoire? Partager un poste et embaucher une personne qui dessert plusieurs organismes dont les services sont complémentaires ou dont les offres de services n’entrent pas en compétition? Fidéliser ses employé(e)s? Tendez l’oreille, le manque d’écoute fait partie des facteurs les plus identifiés par des travailleurs et travailleuses ouvert(e)s à de nouveaux défis. Les solutions proviennent des employé(e)s. Cherchez à comprendre pourquoi ils ou elles travaillent encore dans votre organisme ou encore pour quelles raisons ils ou elles décident de quitter. Comment réduire son taux de roulement? Traiter son équipe comme son plus important client. Comment? Ouvrir le dialogue, pratiquer son écoute, sans se mettre sur la défensive. L’objectif est d’identifier les réels atouts pour fidéliser les travailleur(euse)s. Être à l’affut du moindre voyant rouge, par exemple une impression d’iniquité. Être proactif et agir avant qu’il ne soit trop tard.
Un(e) employé(e) qui se sent bien restera, mais chacun(e) ne sera pas retenu de la même façon. Il est donc important de comprendre le profil de chaque membre de l’équipe afin d’offrir un contexte de travail adapté à ses besoins et à ses critères pour s’épanouir. Offrir des choix variés afin de répondre aux impératifs de chacun(e). Prendre soin de l’humain, pour favoriser le bon développement de l’organisation commence dès le premier jour d’embauche d’un(e) employé(e). Comprendre le genre de profil de personne qu’on a engagée et offrir un milieu en accord avec ses valeurs et ses besoins. La rémunération, juste et compétitive, n’est pas l’unique élément qui retient les employé(e)s. Il devient donc important de donner de la valeur aux avantages indirects, particulièrement la qualité de la relation qu’un(e) employé(e) a avec son ou sa supérieur(e). Des entreprises avec plus de moyens peuvent ajuster leurs salaires, mais les organismes communautaires peuvent miser sur la flexibilité : télétravail, horaire flexible, heures comprimées, plan de formation, semaines de 4 jours, congés personnels, etc. Une politique de la flexibilité, autant du lieu de travail que de l’horaire, ne sera pas nécessairement utilisée, mais les employé(e)s sauront que cette possibilité existe.
Comment améliorer l’expérience de travail? Rencontrer régulièrement les employé(e)s pour discuter de leurs aspirations, de leur plan de formation personnalisé pour être à l’avant-garde dans chacun de nos champs d’expertise ou encore proposer un carnet de projets qui leur permettent d’être sur leur X et qui a un effet « wow ». À l’arrivée d’un(e) nouvel(le) employé(e), mettre en place du mentorat, notamment intergénérationnel. En cas d’irritants au sein de l’organisme, il est possible de miser sur une approche de groupe de codéveloppement professionnel pour trouver des solutions adaptées. Par exemple, réunir 6 à 8 employé(e)s pour faire émerger des actions qui peuvent servir concrètement à l’individu, l’équipe et l’organisation.
Comment se démarquer? Il faut connaître les bons coups de l’organisme et savoir les communiquer. Pourquoi les gens cherchent-ils un autre emploi? Leur a-t-on promis quelque chose? Ont-ils des attentes non comblées? Vérifier s’ils vivent un décalage entre la perception de l’organisme et ce qui s’y vit réellement et quotidiennement.
La pandémie a changé la quête de sens de plusieurs travailleur(euse)s. Les organisations ne sont pas toutes parvenues à cette conclusion. Pourquoi un(e) employé(e) donnerait à son employeur sa créativité et ses idées? Les urgences au travail font souvent en sorte que l’on se concentre davantage sur la gestion opérationnelle. Se donner du temps de réflexion annuellement et se doter d’une mission clairement cernée peuvent faire en sorte que les gens s’identifient à leur organisation. Par conséquent, il y a plus de chances qu’ils n’aient pas envie de la quitter. Lorsqu’ils contribuent à une mission commune et claire, les membres de l’équipe donneront le meilleur d’eux-mêmes pour réaliser quelque chose de plus grand qu’eux. Cela semble plus important que la notoriété d’une organisation, car les employé(e)s travaillent pour leur équipe d’abord et avant tout. D’où l’importance de reconnaître les bons profils de compétences et de comportements requis pour un poste. Cerner les employé(e)s performant(e)s, détecter ceux et celles qui sont bien intégré(e)s et noter ce qui a fonctionné pour reproduire des formules gagnantes selon les profils concernés.
Le communautaire a l’avantage de créer un esprit de communauté. Depuis le début de la pandémie et du travail à distance, il est plus difficile à nourrir. Pour créer cette cohésion entre l’ensemble des employé(e)s, il faut s’attarder à alimenter la flamme entre les membres d’une même équipe. S’assurer que la communication est fluide, implanter de bonnes pratiques de rétroaction ou de reconnaissance. Veiller à ne pas laisser s’infecter une situation qui pourrait devenir une véritable plaie pour l’équipe. Si l’employé(e) a l’impression que ses coéquipier(ère)s ainsi que son ou sa gestionnaire immédiat(e) ont son bien-être à cœur, il sera moins probable qu’il ou elle les quitte pour accepter une offre salariale plus alléchante ailleurs. La reconnaissance de sa contribution par ses pairs, les moments de discussions informelles et les rapports avec les collègues sont tous des facteurs qui influenceront le bien-être au travail et ultimement la fidélisation.
Quels sont vos leviers de fidélisation?
En somme, ce n’est pas l’argent, ni les conditions de travail qui vont faire en sorte qu’une personne choisisse de rester dans une organisation, c’est tout ce qui est relationnel et humain. Cependant, ces facteurs ne sont pas à négliger : une rémunération juste, un environnement de travail agréable, des défis stimulants, un plan d’évolution clair et un climat de travail sain. Miser sur le développement de sa culture est un enjeu essentiel pour garder ses employés heureux et motivés d’aller travailler chaque matin.
L’apport de l’immigration pour contrer le manque de main-d’œuvre
Nous voulons souligner que le gouvernement québécois investit notamment sur l’accueil, la formation et l’embauche de personnes immigrantes ayant un statut de résident permanent, qui sont canadiens et ceux qui ont le statut de travailleur étranger temporaire. Les personnes immigrantes peuvent représenter des atouts incontournables pour répondre aux besoins de main-d’œuvre actuels et futurs des entreprises et des organismes communautaires. Certaines mesures exceptionnelles ont été créées par les gouvernements provincial et fédéral pour soutenir les personnes immigrantes, et, en premier lieu, les plus vulnérables. Certains organismes d’aide en emploi, tel que Stratégie Carrière, sont spécialisés auprès de cette clientèle afin de les préparer à la réalité du marché du travail québécois. Des organismes et des programmes existent afin de permettre aux employeurs d’adopter un nouveau regard envers ce type de main-d’œuvre ainsi que de s’ouvrir vers de nouvelles pratiques pour le recrutement, l’embauche et surtout le maintien en emploi.
Selon la Stratégie nationale sur la main-d’œuvre 2018-2023 du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS), 22 % des 1,4 million d’emplois à combler en 2026 le seront par de nouveaux immigrants. Et c’est ainsi que les gouvernements du Québec et du Canada ont annoncé une hausse historique des seuils d’immigration pour les années à venir, et dès 2021. Québec, de son côté, souhaite limiter le déficit de 30 % à 40 % de nouveaux arrivants enregistrés en 2020 en revalorisant leur nombre d’environ 14 000 personnes sur deux ans, pour un total pouvant atteindre 54 500 immigrants permanents en 2021[2].
Une chose importante à considérer et à réfléchir avant de faire l’embauche d’une personne immigrante est de s’informer sur les enjeux de gestion de la diversité culturelle afin de mieux comprendre certaines situations. Par exemple, toutes les cultures n’ont pas la même notion du temps. La ponctualité est une valeur importante au Québec, mais parfois elle n’est pas perçue de la même façon selon l’origine culturelle de la personne. Il faut surtout prendre le temps de comprendre les différences et informer la personne nouvellement employée des règles et normes en vigueur au sein de l’entreprise. Soyez également avisé qu’un(e) travailleur(euse) étranger(ère) déjà présent(e) au Québec, même depuis quelques années, ne signifie pas automatiquement qu’il ou elle travaille de la même façon qu’un(e) travailleur ou travailleuse d’origine québécoise.
Une piste à ne pas négliger pour pouvoir être mieux outillé avec le recrutement des personnes immigrantes est de se tourner vers les organismes spécialisés dans l’accueil, l’intégration ou l’employabilité des personnes immigrantes. Ces organismes connaissent bien le milieu. Il existe des centaines d’organismes et programmes qui accompagnent les nouveaux arrivants dans leur intégration au marché de l’emploi au Québec. Il ne faut pas oublier que la plupart des personnes immigrantes installées au Québec ont été sélectionnées selon différents critères. La majorité du temps, elles détiennent un diplôme universitaire qui est recherché par les entreprises québécoises et ont l’expérience et les compétences nécessaires pour pouvoir être performantes sur le marché du travail québécois.
La pandémie et le télétravail
Plusieurs organisations ont eu comme premier effet concret de la pandémie d’évaluer les impacts du travail à distance. Des organisations qui étaient réfractaires aux pratiques de télétravail n’ont eu d’autres choix que de demander à leurs personnes salariées de rester chez elles. De leur côté, les organisations qui étaient familières avec de telles pratiques ont été frappées par l’ampleur et la précipitation d’une distanciation professionnelle soudaine et imposée à grande échelle.
Le télétravail fait maintenant partie des critères importants pour plusieurs chercheurs d’emplois et travailleurs qui leur permet de concilier la notion du travail, vie personnelle et familiale tant convoité par certaines générations ou profils de personnes. Avec la pénurie de main-d’œuvre et l’accès de plus en plus facile aux offres d’emploi, il n’est pas rare de voir un travailleur s’ouvrir à d’autres possibilités d’emplois. Certains vont même faire un changement de carrière afin d’avoir accès à cette nouvelle condition de travail que leur permet le télétravail. Le conseil du patronat et les syndicats nationaux estiment que 20 % des organisations avaient implanté le télétravail avant la pandémie. Après la pandémie, ils estiment que 40 % pourraient continuer à l’utiliser. Bien sûr tous les postes ou les secteurs ne sont pas propices au télétravail. On doit cependant évaluer les impacts sur les services et les usagers. Dans un contexte d’intervention, il n’est pas toujours souhaitable de faire face à un écran. Cependant, dans un contexte où la personne n’a pas ou a peu de moyens pour se déplacer, cela devient un avantage pour briser l’isolement et recevoir régulièrement du soutien.
En conclusion
Le milieu communautaire a ses forces et ses faiblesses face à la rétention de son personnel. Il a évolué à travers les décennies où le bénévolat a fait place à des salarié(e)s ayant une formation de plus en plus spécialisée. Les organismes communautaires ont le mandat de répondre à différentes clientèles et à différents enjeux vécus par les personnes les plus vulnérables en termes de travail, de santé physique et mentale, d’exclusion, de violence, du manque de réseau, d’écoute, etc. Les besoins sont là et les organismes communautaires font des pieds et des mains pour y répondre selon leurs moyens. La pénurie de main-d’œuvre va possiblement forcer les organismes à repenser leurs services, leurs partenariats, leur mode de financement et leur structure de gestion. Ils pourront continuer à miser sur la synergie et la force des groupes et de leurs regroupements pour repenser ensemble les solutions à venir.
[1] À l’exception des Carrefours jeunesse-emploi qui sont financés à la mission depuis le mois de juin 2021.
[2] D’après le texte Conseils pour avoir des employés engagés n’ayant aucune envie de quitter le navire. Neuf règles d’or pour fidéliser nos employés, Les Affaires, octobre 2021. [En ligne]. https://integrationemploi.com/provenance-de-la-main-doeuvre-periode-2017-2026-et-apport-de-limmigration-chiffres-a-lappui-conseil-du-patronat-du-quebec/